samedi 30 mai 2015

La matrice enchantée

C'était une de ces après-midi pluvieuse de mai où la clarté du printemps semblait disputer à la pénombre automnale un droit de cité crépusculaire sur la ville .
Les soubresauts de la route mêlés aux heures de fatigue l'avaient plongée  dans une douce léthargie.
Le sifflement du frein la tira de sa torpeur doucereuse, et elle put voir par la fenêtre embuée qu'elle était arrivée à destination.
Elle descendit les trois marches du bus et leva le regard sur la tour de douze étages où elle vivait avec ses enfants depuis 2001.
La plaque de plexiglas taguée indiquait "Cité des rossignols".
Elle se dirigea  vers son bâtiment où une dizaine d'adolescents canette de bière à la main semblaient défendre l'entrée de la tour comme des sentinelles défendant un fort.
L'un d'eux sans même lever le regard sur elle, ouvrit la porte métallique à la vitre brisée pour la laisser entrer à la manière d'un cerbère sélectionnant les ayants droits au passage .
Elle pénétra dans le hall, et vérifia sa boite aux lettres qui ne contenait rien à l’exception des tracts sur papier glacé proposant pour l'achat d'une pizza la deuxième à moitié prix.
Elle se dirigea vers l'escalier et commença son ascension des cinq étages qui la séparaient de son appartement, il y a bien longtemps qu'elle n'espérait plus l’ascenseur.
Elle louvoyait sur les marches pour éviter les flaques d'urine dont l'odeur rance ne la gênait même plus.
Elle avait été dans les premiers mois obligée d'appliquer sur son visage un mouchoir imbibé de lavande, mais le temps a la vertu de rendre les nez les plus délicats insensibles aux fragrances les plus abjectes.
Le tour de clés dans la serrure donna l'alerte à la maisonnée et comme à son habitude sa benjamine de neuf ans vint à sa rencontre.
L'intérieur tranchait singulièrement avec le palier.
L'entrée donnait sur un couloir impeccable qui ventilait vers les chambres et qui aboutissait au salon, principale pièce où trônait la lourde table de chêne donnée par sa mère, bien le plus précieux qui les avait suivi durant leurs différents déménagements.
Elle y posa ses clefs et prit sa fille dans ses bras.
- Où sont tes sœurs ma chérie ?
tout en mordillant un capuchon de stylo elle répondit : dans la chambre !
Elle ouvrit la porte et vit ses deux plus grandes, l'une affairée sur son portable et l'autre en plein tchat sur un réseau social.
- Ça va les filles ?
Sans lever le nez de leurs écrans elles répondirent sans conviction un "ouai" qui trahissait leur empressement à voir se refermer la porte.
Elle exécuta l'ordre qu'elle avait deviné et courut à la cuisine pour préparer un dîner avec ce que la grâce du réfrigérateur lui offrirait.
Le repas fini elle débarrassa la table et mit au lit la petite  ; elle n'espérait plus l'aide des deux grandes qui le ventre plein s'étaient à nouveau réfugiées dans leur chambre maudissant pour l'une son refus pour un nouveau portable et pour l'autre de ne pouvoir proposer à son petit ami une nuit chez elle.
Devant le miroir de sa salle de bain, elle commença à démaquiller ses yeux qui naguère avaient été si jolis mais que des nuits de sanglots avaient cernés aussi sûrement que l'eau salée érode les coques des navires abandonnés.
Pourrait elle à nouveau plaire ?
En avait elle juste envie ?
Les espoirs de secondes chances, sont les prières de ceux qui croient encore à la rédemption.
Elle, avait opposée aux décrets du destin un fatalisme résigné nourri par la lâcheté des hommes dont le courage pouvait se mesurer à l'aune du silence coupable à ses appels, dont ils faisaient preuve, une fois l'objet de leurs désirs obtenu.
Restait pour elle le royaume de la nuit où à la faveur du songe elle devenait à nouveau cette belle jeune fille amoureuse d'amour.
Là dans les limbes Mab lui contait ces histoires de palais où la pantoufle exauce les souhaits.
Demain ne serait pour elle qu'un jour de plus dans le purgatoire de l'existence où les beaux contes s'évaporent comme la rosée chauffée aux rayons du soleil printanier.


NOCRA

Il est dans un océan de peine traversé par des courants d'épreuves, une île merveilleuse du nom de NOCRA.
Elle ne figure sur aucune carte ;  elle est pourtant bien réelle mais n’apparaît qu'a celui qui est élu. L'humble peut la trouver mais elle se cache à la quête du présomptueux.
Elle est couverte d'une forêt d'arbres majestueux aux feuillets fait de lumière.
Y sont écrits des mots de vérité et de toute éternité.
Le sage y trouve patience et l'érudit le fruit de la connaissance. Pour celui qui y arrive l’âme endolorie, y est inscrit :  " ceci est un remède et une miséricorde ", et à celui dont le passé est lourd que ;  "Miséricorde s'étend sur toute chose".
Nul ne peut l'explorer en une vie car elle est à la dimension des espérances de celui qui la parcoure.
Bien des visiteurs y ont posé le regard, avide d'en faire le tour, mais "le regard leur est revenu frustré d'impuissance".
Le vent dans les feuillets, psalmodie à l'oreille du repentant les devises éclairées venues du tout vivant qui rappelle que la vie est sacrée et qu'a "toute chose mesure doit être donnée".
Alors quand la brise se lèvera:  "faite silence et écoutez afin que miséricorde vous soit accordée".
A l'indigent rassasié qu'elle aura recueilli, elle dit:  part, riche d'une partie de moi et reviens quand à nouveau la faim t’assaillira.
Invoque moi par la parole consacrée et par la permission du créateur de toute chose, j'apparaîtrai.

jeudi 14 mai 2015

La salle d'attente

Il pénétra dans l'immeuble l'angoisse au corps et la démarche mal assurée.
La lourdeur de ses cinquante huit ans pesait sur ses épaules comme pèsent sur les étagères des bibliothèques les beaux livres reliés de cuir qui ne sortent jamais et pourtant combien loquace ils auraient été si on les avait ouverts.
La voix teintée d'une gêne toute provinciale et le ton trop bas, Il se présenta à l'accueil et récita à l'hôtesse son nom et l'objet de sa présence à la manière d'un enfant de paysans se présentant à l'entrée d'une grande école de la ville.
Le sourire grenat de la jeune fille mêlé à un discret parfum de lavande le replongea dans un monde qu'il avait jadis connu mais il y a si longtemps.
Il prit place sur l'un des fauteuils de cuir et passa sa tenue en revue.
Il portait un costume de flanelle grise, seul rescapé d'un passé confortable et relique d'une carrière brillante qui avait depuis une dizaine d'années emprunté le sentier obscure de ceux qui devenu trop vieux devaient céder leur place aux fringants trentenaires armés de sourires carnassiers et de smartphones.
Il avait prétexté un rendez vous galant pour emprunter à l'un de ses amis une chemisette de marque et quelques gouttes d'un parfum trop cher pour lui à l'image d'une cendrillon usurpant sa condition pour s'assurer l'entrée d'un bal où la pacotille et le clinquant sont les gages de ceux qui sont bien nés.
Il n'avait malheureusement pas trouvé le moyen de lui emprunter sa serviette de cuir et dut se contenter d'une pochette de plastique où il avait soigneusement rangé son CV et sa lettre de motivation comme l'aurait fait un hobereaux de ses titres de noblesse pour attester de son droit à jouter avec les chevaliers de la cour.
La porte du DRH s'ouvrit comme celle du purgatoire de Dante ; apparut alors un quadragénaire aux dents trop blanches et au teint hâlé qui l’invita à entrer.
Il se leva et prit garde à dissimuler en tirant sur sa manche sa montre de quartz qu'il jugeait indigne de ce rendez vous et répondit à son interlocuteur un révérencieux : "bonjour monsieur le directeur".
Ayant passé le pas de la porte, son claquement résonna dans sa tête comme l'aurait fait le marteau d'un juge prêt à annoncer sa sentence.
Il s'avait qu'allait avoir lieu le moment fatidique où à la faveur d'un avis, pourrait se dessiner devant lui la fin de carrière honorable qu'il espérait ou s'abattre la phrase consacrée :

"Votre candidature est intéressante, mais nous n'avons hélas pour le moment aucun poste qui puisse vous correspondre."